8 – LES PREMIÈRES CARTOUCHES

— Ma chère Winie, affirmait Teddy, vous avez absolument tort de vous désoler. D’abord, se faire du mauvais sang n’a jamais servi à rien, et, ensuite, vous verrez que tout s’arrangera… Tout s’arrange, d’ailleurs.

— Ah ! Teddy, on voit bien que vous n’êtes pas à ma place, vous ne comprenez pas toute l’horreur de la situation.

— Mais rien n’est définitif, Winie, voyons…

— Si, Teddy. Comment voulez-vous que son innocence éclate jamais ?

— Le jour où l’on découvrira le voleur…

— Est-ce qu’on le découvrira jamais ?

— Si, si, le voleur d’une somme pareille, Winie, doit fatalement commettre une imprudence, faire des dépenses exagérées, jouer aux cartes, attirer l’attention.

Winie, tristement, secoua la tête.

— Non, déclara-t-elle, vous vous trompez, ce misérable argent a été trop adroitement subtilisé, pour qu’il ne soit pas absolument certain que le coupable est un habile homme. Il sait maintenant, à coup sûr, que le lieutenant Wilson Drag passe pour coupable, il aura bien soin de ne rien faire qui puisse attirer les soupçons sur lui. Wilson Drag est bel et bien perdu…

— Perdu, mais non.

— Que voulez-vous qu’il fasse maintenant ? Si ses collègues, si ses chefs apprennent jamais pareille aventure, voyez le scandale, voyez le déshonneur qui rejaillit sur lui…

— Votre père ne dira rien, Winie…

— Papa, non, sans doute. Il ne voudrait pas avoir une pareille responsabilité, mais Jupiter parlera. Vous pensez bien…

Teddy ne répondit pas.

Ils se trouvaient dans la vaste pièce, formant salon, qui occupait presque tout le rez-de-chaussée de Diamond House.

Par les fenêtres, on apercevait les montagnes sauvages, encerclant de toutes parts la maison, et la nuit close, à peine éclairée par une lune indécise, prêtait des aspects fantastiques aux arbres torturés par le vent.

Teddy était arrivé vers les neuf heures, à cheval, suivant son habitude. Il revenait d’une longue course, et n’ayant plus le temps de regagner pour le dîner sa demeure, il s’était arrêté à Diamond House pour solliciter des hospitaliers propriétaires, le traditionnel morceau de « blitong » qui, dans toute l’Afrique du Sud constitue le repas obligatoire des cavaliers et des chasseurs.

Teddy avait trouvé Diamond House presque désert. L’usine, voisine de la maison d’habitation, avait déjà renvoyé ses ouvriers, et dans les bâtiments sombres, les machines avaient arrêté leur va-et-vient.

Hans Elders lui-même n’était pas là. À son habitude, il était parti de bonne heure pour gagner Durban, pour faire à son cercle sa partie de baccara. Déjà les domestiques étaient remontés se coucher, seule Winie rêvait à l’une des fenêtres du salon.

C’était la jeune fille qui s’était avancée à la rencontre de Teddy, c’était elle qui, avec sa familiarité libre, cette cordialité simple qui règne dans tout le Natal, avait improvisé au jeune homme un frugal souper, très heureuse de sa venue, d’ailleurs, qui lui donnait l’occasion d’une causerie confiante, qui lui permettait de décharger dans une oreille amie le poids de son chagrin.

Pour Teddy, tandis qu’il prodiguait à Winie les mots les plus consolants, les assurances les plus douces, dans l’espoir de calmer son chagrin, il semblait à la vérité fort peu convaincu de ce qu’il disait…

Ce qui faisait que Teddy était sombre, c’est que, pensait-il, même si l’innocence de Wilson Drag éclatait – et elle éclaterait – un mariage n’en serait pas moins fort difficile entre Winie et Wilson Drag.

Wilson Drag, en effet, n’apprendrait-il pas un jour ou l’autre, et cela par le fait même de Teddy, la nature véritable de Hans Elders ?

Et Winie n’était-elle pas, de la sorte, vouée aux pires malheurs ?

Or, comme Winie silencieusement pleurait, comme Teddy, à bout d’arguments, demeurait embarrassé, peiné du chagrin de Winie, mais ne sachant plus trop que dire, voici qu’au même instant les deux jeunes gens tressaillirent :

— Avez-vous vu ? haleta Winie.

— Oui, il m’a semblé…

Teddy déjà s’était levé, il courait à la fenêtre.

— Hello ! qui va là ?

La voix du jeune homme résonna, vibrante et chaude dans le silence calme du soir. Nulle réponse. Teddy répéta :

— Hello, qui va là ? Que veut-on ?

Nulle réponse encore.

Et comme Winie l’avait rejoint et se tenait très pâle, à ses côtés, Teddy, persuadé qu’ils avaient été victimes d’une illusion, déclara :

— Nous avons dû nous tromper, il n’y a personne…

Mais Winie, elle, était certaine du contraire :

— Non ! non ! fit-elle, je suis sûre de ce que j’ai vu, il y avait quelqu’un qui collait son visage à la fenêtre, qui nous épiait.

— Qui ?

Teddy haussa les épaules tranquillement.

— Qui ? Winie, reprit-il. Mais c’est peut-être votre père, tout simplement qui rentre et qui, voyant de la lumière ici, a regardé en passant… Nous allons l’entendre ouvrir la porte et…

— Non, dit Winie, si c’était papa, il aurait répondu à nos appels.

— Eh bien, c’est un domestique attardé, qui craignait une réprimande.

— Il ne serait pas rentré à Diamond House par cette porte, Teddy.

— Alors, c’est un passant qui a été intrigué par votre maison. On s’attend si peu, au sortir du vallon sauvage qu’il y a à cinquante mètres d’ici, à trouver une demeure, qu’il est assez naturel…

Et soudain, Winie sursauta de nouveau :

— Là ! là ! fit-elle, voyez…

Teddy, de ses yeux perçants, de ses yeux de chasseur, habitués à saisir les moindres détails, à découvrir, même au plus fort de la nuit, les plus petits aspects d’un paysage, avait, lui aussi, tout comme Winie, aperçu l’ombre dans le bout du jardin.

— Oui ! avoua-t-il cette fois.

Et, rapidement, rabattant les volets de fer qui clôturaient la fenêtre et mettaient la pièce à l’abri de toute attaque, il ajouta :

— J’en aurai le cœur net, parbleu. Restez ici, Winie, je vais aller fouiller le jardin.

Mais Teddy n’avait point traversé le salon que Winie, effrayée, s’agrippait à lui :

— Oh non ! criait la jeune fille, pour l’amour de Dieu, n’y allez pas.

— Et pourquoi ?

— J’ai peur pour vous…

— Allons donc.

— C’est sans doute un malfaiteur, un bandit, on a signalé des convicts dans les environs. N’y allez pas, Teddy.

Mais du moment qu’il s’agissait d’un danger à courir, pas moyen de retenir Teddy.

Outre qu’il était naturellement brave, sa vanité de jeune homme n’eût pas admis de reculer.

Il repoussa Winie doucement :

— Vous êtes folle, dit-il. Si par hasard c’était un malfaiteur, ce serait une raison de plus pour aller le chercher. D’ailleurs, un homme en vaut un autre.

— Je vous en supplie, s’écria Winie, j’ai peur, terriblement peur.

Et comme Teddy, sans l’écouter, ouvrait la porte du salon, la jeune fille, comprenant qu’elle n’allait pouvoir le retenir, demanda :

— Vous êtes armé, au moins ? Vous avez vos revolvers ?

Machinalement, Teddy porta la main à sa ceinture où, d’habitude, pendait toujours l’un des Colt qui était ses compagnons habituels.

— Non, dit-il, ils sont restés dans les fontes de ma selle. Peu importe. Ne vous inquiétez pas.

Winie, de plus en plus tremblante, venait encore de tressaillir. Prêtant l’oreille, elle avait entendu dans le jardin un bruit de pas. Si c’était vraiment une bande de malfaiteurs qui cernait la maison…

— Ah, je ne veux pas vous laisser partir, répéta-t-elle, restez, Teddy…

Le jeune homme la repoussa.

— Laissez-moi donc…

— Alors, armez-vous. Tenez, là, dans le cabinet de mon père, vous trouverez son fusil et des cartouches dans la petite armoire vitrée, contre le mur…

Teddy gagna le bureau de travail de Hans Elders, pas fâché, en somme, d’aller y prendre une arme.

Le fusil était au râtelier.

Teddy le prit et, d’un geste machinal, il fit basculer la clef du pontet, vérifia le chargement…

— Il n’y a qu’une cartouche. Bien.

Le jeune homme bondit à la petite armoire où Winie lui avait dit qu’il trouverait des munitions.

Sur les rayons de l’étagère, des cartouches, en effet. Teddy en prit une poignée – des cartouches bleues, analogues à celles dont il se servait lui-même – il les fourra dans sa poche.

Mais, en même temps qu’il glissait dans le magasin de son arme l’une des douilles, voilà que de la petite armoire vitrée tombait, ébranlée par son geste, toute une pile d’autres cartouches, des cartouches liées ensemble, et de couleur rose…

Or, du paquet de cartouches roses, une cartouche s’était séparée… Cette cartouche, tombée sur le culot, avait détoné, mais elle n’avait pas éclaté. À peine l’enveloppe de carton était-elle fendillée… Teddy qui, voyant basculer le paquet de cartouches, s’était attendu à une assez forte explosion, en demeura saisi.

Machinalement, il ramassa l’unique cartouche dont la capsule venait de détoner, il la mit dans sa poche, songeant :

— Eh bien, si les douilles que je viens de prendre ne sont pas de meilleure qualité, mon fusil ne va pas me servir à grand-chose.

Il se précipita vers la porte-fenêtre du cabinet de travail, l’ouvrit, courut dans le jardin, son fusil sous le bras :

— Hello ! cria-t-il encore, ayant l’impression que quelqu’un venait de débusquer d’un fourré et de s’enfuir devant lui.

Nul ne répondit. Teddy hâta sa course.

— Dommage, pensa-t-il, que la nuit soit si sombre. Il y a certainement quelqu’un dans ce jardin, mais où ?

Il fallait d’ailleurs au jeune homme un beau courage pour continuer ainsi sa course. Lui ne voyait personne, mais sans doute « on » le voyait, car son ombre devait se détacher, en silhouette, sur les fenêtres éclairées du cabinet de travail de Hans Elders.

Teddy, immobile, l’arme à l’épaule, prêt à faire feu, écouta un instant, puis brusquement pivota sur ses talons, visa un quart de seconde, tira.

Teddy venait de faire feu, un peu au jugé, sur quelque chose, homme ou bête, qu’il avait aperçu assez loin de lui, dans l’obscurité.

Après le claquement brutal du coup de fusil, le jardin redevint silencieux.

— Sapristi, se dit Teddy, je l’ai manqué.

Instinctivement, le jeune homme bascula encore le canon de son arme pour remplacer la cartouche qu’il venait de tirer.

La main dans sa poche, il prit un nouveau chargement, s’apprêta à l’introduire dans la culasse de son fusil… et tandis qu’il opérait, machinalement, sans regarder ce qu’il faisait, Teddy continuait à surveiller le jardin…

Or, la cartouche qu’il s’efforçait d’introduire dans son fusil devait être mal calibrée, car il ne pouvait réussir à la glisser dans l’âme du canon.

Teddy baissa les yeux et, revenant en courant vers les fenêtres éclairées, vérifia ce qui gênait sa manœuvre.

— Ah ! nom d’un chien ! jura-t-il.

La cartouche qui refusait d’entrer dans son fusil, c’était la cartouche rose, la cartouche qui avait détoné, sans éclater, quelques instants avant…

Or, cette cartouche, Teddy la regardait avec des yeux stupéfaits…

Il la considérait une minute, puis, comme ne se souciant plus de poursuivre dans le jardin l’être sur lequel il venait de tirer, Teddy, rebroussant chemin en courant, se précipita vers le cabinet de travail de Hans Elders et déjà il avait le pied sur les marches qui faisaient communiquer le jardin avec la chambre, lorsque, brusquement, il s’arrêta net, poussant pour la seconde fois un jurement sourd…

Qu’avait-il donc vu ?

***

Depuis trois jours, Jérôme Fandor avait été embauché par Hans Elders.

Le jeune homme qui, de sa vie, n’avait jamais vu une chercherie de diamants, n’avait même jamais lu aucun détail sur la façon dont on exploite pareille industrie, n’avait pu être affecté à des travaux bien compliqués.

Il servait aux usines en qualité de manœuvre, charriant des terres, portant des outils, aidant les uns, aidant les autres, et gagnant péniblement un maigre salaire.

Fandor pourtant était ravi de son sort.

Après la conversation qu’il avait eue avec Teddy, lorsque ce dernier l’avait fait évader de Lunatic Hospital, Fandor était tombé d’accord avec le jeune homme, qu’il importait avant tout de surveiller de très près les agissements compromettants de Hans Elders.

Certes, Fandor s’était fait embaucher à l’usine avec l’intention bien arrêtée de trouver ainsi le moyen de gagner sa vie, mais de plus, il n’était pas fâché de surveiller son patron.

Fandor, toutefois, était trop fin, et pour tout dire, trop habitué aux recherches de police, pour avoir accepté sans défiance et comme absolument certaines les paroles de Teddy.

— Hans Elders, avait affirmé Teddy, m’a volé une première fois le crâne mystérieux, c’est lui qui a dû vous le reprendre à l’asile, c’est lui le coupable…

Vingt-quatre heures après qu’il eut été engagé à la chercherie, Fandor pourtant avait une opinion bien arrêtée : il se passait à l’usine des choses bizarres.

Quoi ? Fandor n’aurait pas su le dire au juste, mais il lui semblait qu’on employait à la chercherie un personnel étrange.

Certains ouvriers avaient de véritables figures de forbans, de bandits, que faisaient-ils, si tant est qu’ils faisaient quelque chose ?

Et puis, autre chose surprenait encore Fandor : l’abondance des diamants, qui, certains jours, étaient découverts dans les terres lavées et le plus souvent par les mêmes ouvriers…

Hans Elders, d’ailleurs, paraissait le plus honnête, le moins inquiétant de tous ceux qui vivaient à Diamond City.

Mais le proverbe : tel maître, tel valet est souvent juste, Fandor n’était pas éloigné d’admettre la réciproque et de dire : tel valet tel maître. Aussi, chaque soir, après la fin du travail, Fandor en homme habitué à toutes les ruses, s’efforçait de rester soit dans les bâtiments de l’usine, soit dans les jardins de Diamond House. Il rôdait là de longs moments, surveillant les allées et venues, guettant les agissements des propriétaires, épiant, enquêtant…

Fandor, d’ailleurs, ne se faisait point d’illusion. Il savait que sa surveillance était dangereuse et que si jamais on venait à le découvrir, demeuré dans les environs de la chercherie sans motif plausible, on ne manquerait pas de l’accuser d’avoir voulu voler les pierres précieuses. Mais un danger n’avait jamais été pour empêcher Fandor de faire ce qu’il jugeait utile, et il se proposait bien de continuer à épier jusqu’à ce qu’il fut certain, ou de l’honnêteté de Hans Elders, ou de son caractère de bandit.

Or, ce soir-là, Fandor devait aller de stupéfaction en stupéfaction…

Il avait vu Teddy arriver à cheval, saluer Winie et monter avec elle au salon.

— Tiens ! tiens ! s’était dit Fandor, toujours prêt à rire un peu, M. Père étant parti, il me semble que Mlle Fille ne refuse pas de recevoir des visites.

Mais n’était-il pas intéressant de savoir exactement quel degré d’intimité existait entre Teddy et Winie, cela alors que Teddy avait assuré qu’il tenait Hans Elders pour un misérable ?

Fandor, très habilement, s’était approché des fenêtres, avait collé le visage aux carreaux pour épier les jeunes gens. Mais les choses s’étaient gâtées, Fandor avait à peine le temps de disparaître, s’étant rendu compte qu’on venait de l’entrevoir, que Teddy s’élançait à la fenêtre.

— Bigre de bigre, songea le journaliste, je ferai bien de ne pas moisir dans le jardin.

Fandor prit sa course, voulut s’enfuir.

L’intrépide jeune homme, malheureusement, connaissait fort inexactement encore les massifs de Diamond House. Dans sa précipitation, Fandor se trompa de chemin. Il pensait marcher vers la grille qu’il était aisé de franchir, lorsque, après trois minutes de course rapide, il se heurta au mur élevé qui ceinturait le parc.

— Boum, s’était dit Fandor, si je continue comme cela, je vais me faire prendre dans une souricière.

Fandor retourna sur ses pas. Aussi bien il n’entendait plus rien… Teddy peut-être avait pensé qu’il se trompait ?

Mais, quelques instants après, comme Fandor arrivait devant la maison et hésitait sur le chemin à suivre, Fandor sursauta d’effroi. Une détonation venait de retentir, une grêle de plomb crépitait, trouant les feuilles, tout près de lui.

— Oh ! oh ! murmura Fandor qui, instinctivement, venait de se jeter à plat ventre, voilà que je me fais canarder maintenant. Et canarder par Teddy encore. Le jeune homme apercevait en effet la silhouette du tireur, et la reconnaissait parfaitement. Que faire ?

— Je ne peux pas, songeait Fandor, révéler mon identité… Que dirait Teddy ?

Fandor resta, immobile, sur le sol…

— Il va s’en aller, pensait-il… Mais il fronçait les sourcils bientôt :

— Diable, il recharge son arme !…

Et puis Fandor ne comprit plus du tout ce qui arrivait…

Alors qu’il glissait une cartouche dans le magasin de son fusil, Teddy sursauta, puis couru au cabinet de travail de Hans Elders :

— Qu’est-ce qu’il fait se demandait Fandor ?

À ce moment, parvenu sur le seuil, Teddy s’arrêta brusquement…

— Pourquoi n’entre-t-il pas ?

Fandor n’était pas au bout de ses stupéfactions !

Il vit Teddy s’éloigner à pas précautionneux du cabinet de Hans Elders.

Le jeune homme gagna l’un des bouts du jardin, puis, épaulant à peine son arme, lâchait au hasard en l’air, sans viser quoi que ce soit, deux coups de fusil.

Les détonations éveillaient encore des échos que Fandor entendit Teddy appeler à pleins poumons :

— Au secours, Hans, à l’aide, par ici.

— Il est fou ! murmura Fandor, qu’est-ce qui lui prend ? Il tire en l’air et il appelle au secours…

Cependant, brusquement, affolé, Hans Elders venait de sortir de son cabinet de travail.

Hans Elders, attiré par les cris de Teddy, s’était précipité dans la direction du jeune homme.

Mais, et cela c’était ce qui surprenait le plus Fandor, tandis que Hans s’élançait en courant, criant de toutes ses forces :

— Hardi, tenez bon, me voilà.

Teddy effectua une étrange manœuvre…

Fandor, toujours dissimulé sur le sol et caché par un massif, s’aperçut que le jeune homme, loin d’attendre Hans Elders – qu’il avait appelé – se baissa, rampa presque et prenant garde à ne pas faire le moindre bruit, évitant de rencontrer Hans, se dirigea vers le cabinet de travail, y entra.

— Ah ça, pensa Fandor, mais c’est clair, je ne peux pas m’y tromper. Que diable veut faire mon ami Teddy ? Il a attiré Hans volontairement hors du cabinet de travail. Il le laisse tout seul se débrouiller au jardin et, lui, revient vers la maison.

Fandor n’hésita pas. À son tour, il se leva, il courut vers la maison…

Hélas, les fenêtres du cabinet de Hans Elders étaient maintenant fermées par d’épais volets en fer, mais sur ces volets des motifs de décoration existaient, des rosaces de fleurs ajourées. Fandor regarda au travers d’une de ses ouvertures et cette fois, il sentit qu’une sueur froide lui perlait aux tempes.

Teddy, à peine dans la pièce, avait bondi au petit meuble à cartouches. D’une main fiévreuse, il s’empara des cartouches roses… Il en déchira une, il tira la bourre, une bourre de papier, il la déplia, la regarda, et tandis que Fandor blêmissait, Teddy, à l’intérieur de la pièce, blêmissait aussi, la cartouche contenait un billet de mille francs.

Alors Teddy se hâta davantage. Il déchira deux nouvelles cartouches roses, deux cartouches qui, elles aussi, étaient bourrées de billets de banque…

— Bon Dieu de bon Dieu, se demandait Fandor. Qu’est-ce que tout cela veut dire ? Qu’est-ce que Teddy va faire ?

Ce que Teddy faisait était bien simple…

Fandor le vit prendre tout le paquet des cartouches roses et le mettre dans sa poche, après avoir rompu la ficelle toutefois et s’être assuré que nul ne pourrait s’apercevoir de son vol.

Alors Fandor absolument stupéfait hurla :

— Ah le voleur.

Peut-être même le journaliste victime de son impétuosité naturelle allait-il se précipiter et bondir sur Teddy, lorsqu’un nouveau personnage pénétra dans le cabinet de travail. C’était Hans Elders qui revenait du jardin où il n’avait vu personne. Il avait dû frôler Fandor pour gagner la porte-fenêtre et le journaliste frissonna à la pensée du danger qu’il avait ainsi couru.

— Bigre, je l’ai échappé belle !…

La porte était entrebâillée, Fandor entendit Teddy, très calme, assurer au maître de la maison :

— Oui, oui, j’ai tiré sur quelqu’un. C’est pour cela que je vous ai appelé. Et si vous ne m’avez pas trouvé, c’est que j’ai bondi ici parce qu’il me semblait que le voleur avait pénétré dans cette pièce au moment même où vous veniez de sortir.

Hans Elders pâlit :

— Un voleur, ici, fit-il. Mais que voulez-vous…

Hélas Fandor n’en entendit pas davantage.

Teddy, d’un coup de pied, venait de fermer la porte et force était bien au journaliste de se contenter de voir les deux hommes sans pouvoir écouter ce qu’ils disaient… Mais, demeuré à son poste d’observation, apercevant Teddy et Hans Elders s’entretenir, certes, avec vivacité, mais à coup sûr sans animosité. Fandor subitement crut comprendre :

— Ah nom d’un chien de nom d’un chien, de tout cela une seule chose résulte, en somme, c’est que si Hans Elders est une crapule, ce qui est bien possible, Teddy en est une autre et cela de façon certaine.

Puis, après un instant de réflexion, Fandor ajouta :

— Mais alors, si Teddy est un voleur, j’ai bigrement tort de me confier à lui ? Qui me dit qu’il n’a pas l’intention de m’attirer dans un traquenard ? Décidément, je crois que je ferais mieux de ne pas revoir cet intéressant garçon et surtout que j’ai tout intérêt à ne pas rester à cette chercherie. Je devine des pièges.

Et Fandor quitta la fenêtre, sortit du jardin, se perdit dans la nuit.